Afin de mieux comprendre comment se sont
orchestrés les événements qui ont débouché
sur l'inimaginable question de la solution finale, et par conséquent
au sort des 24 enfants juifs arrêtés dans les Landes, il convient
d'observer la situation politique de l'Allemagne dans l'entre deux guerres
et la façon dont le IIIème Reich est parvenu à imposer
sa dictature pendant douze ans.
Le parti national-socialiste des travailleurs
allemands (NSDAP), créé en 1920, reste presque inexistant
avant la crise de 1929, après son interdiction, en 1923, faisant
suite à l'incarcération d'Adolf Hitler. C'est pendant cette
période qu'Hitler commence par s'entourer d'une garde rapprochée
de fidèles la SA puis la SS. Le but de ce parti est l'instauration
d'une dictature, seule, selon lui, capable de reconstruire l'Allemagne et
de lui permettre de retrouver sa place dans le concert des grandes nations
en développant un gigantesque programme de conquêtes militaires
nécessaires à son espace vital. Il va profiter de la crise
pour convaincre de son efficacité et se débarrasser de toute
opposition.
Les événements s'enchaînent
alors : nomination d'Hitler au poste de chancelier, obtention des pleins
pouvoirs, abolition des libertés fondamentales. Le 14 juillet 1933,
le parti nazi est proclamé parti unique. L'Allemagne assiste alors
à la montée en puissance des nazis et des mesures désastreuses
sont prises : ségrégation raciale (on voit apparaître
à cette époque le désir d'une "race pure"),
destruction de livres jugés séditieux, adhésion obligatoire
à la jeunesse hitlérienne
La dictature nazie s'impose
par l'intermédiaire de ce régime autoritaire et par la terreur
qui s'installe alors en Allemagne sous l'impulsion de la SS et de la gestapo,
la police politique de l'Allemagne hitlérienne qui est en charge
de l'arrestation des juifs et des opposants politiques.
Ce régime de peur que fit régner
Hitler, s'est étendu aux territoires conquis au fur et à mesure
des succès militaires de l'Allemagne nazie (République Tchèque
et Pologne en 1939 ; Norvège, Pays-Bas, Belgique et France en 1940
; Grèce en 1941) et permet de comprendre le climat dans lequel se
trouvaient les populations soumises et ce qu'elles ont dû subir. C'est
afin de mieux appréhender cette douloureuse période que nous
avons entrepris un long périple sur des lieux de mémoires
chargés d'histoire.
Dimanche 25 mars 2007
Le musée de
la Topographie de la terreur |
Nous avons commencé notre voyage
sur les traces des enfants déportés à Auschwitz par
une immersion dans l'histoire du nazisme, en nous rendant à Berlin,
sur les lieux même où situaient les organes du pouvoir du IIIème
Reich. Dans le quartier du prince Albert, à proximité de l'ancienne
Chancellerie d'Hitler, se concentraient entre autres, les bureaux de la
SS, des services secrets et de la Gestapo. Entre 1933 et 1945, c'est d'ici
que les artisans de la "germanisation" et de l'extermination de
masse ont tout planifié.
Ce musée à ciel ouvert
s'attache à présenter les différentes institutions
nazies, leur organisation, leurs structures, leur mode de fonctionnement
et les conséquences inhumaines de leurs activités. A l'image
de la SS par exemple qui était divisée en 3 parties :
-La SS Générale ou Allgemeine SS, composée des membres
du parti et des membres des régiments de l'Allgemeine SS.
-La SS armée ou Waffen-SS qui regroupait l'organisation militaire
de l'ensemble de la SS avec ses formations et unités de réserve,
ses écoles et ses installations.
-Les Formations tête de mort ou SS-Totenkofverbände qui composaient
principalement les unités de garde de camps de concentration.
Ici, la barbarie et l'horreur sont identifiables
au travers d'une liste de noms et de visages tristement célèbres
pour leur implication dans la Solution finale : Hitler, Himmler, Heydrich,
Eichmann, Pohl
Ce que les nazis ont appelé "solution finale", n'est que
le terme d'un long processus entamé en 1935. La persécution
des juifs commença avec la promulgation, par Hitler, d'un ensemble
de lois antisémites qui cherchait à séparer les citoyens
juifs des autres Allemands. L'Histoire a retenu ces lois sous le nom "des
lois de Nuremberg" (nous aurons l'occasion d'en reparler un peu
plus loin, puisque cette ville est à notre programme). Ces mesures
visaient à rejeter les juifs de la communauté allemande, en
les privant de leur citoyenneté et en interdisant les mariages mixtes
entre "Aryens", c'est-à-dire des citoyens allemands
réputés de "race pure" et juifs. Cette exclusion
de la société s'accompagnait de brimades de toutes sortes
comme le pogrom de la Nuit de cristal en 1938.
Dans la conception de l'univers nazi,
les "sous-hommes", classification donnée aux juifs
entre autres, devaient être éliminés par un moyen ou
un autre. Cette recherche de la "pureté" de la race
aryenne a donc conduit, les responsables nazis à rechercher les solutions
les plus radicales : la déportation dans les territoires annexés,
les exécutions de masse par les einsatzgruppen, puis les différents
processus, comme l'opération "T4" ou les camions d'euthanasie,
qui ont débouché sur l'ouverture des camps d'extermination.
Après la chute du régime nazi, ceux qui travaillaient dans
cette organisation morbide auront beaucoup de mal à se justifier
lors du procès de Nuremberg. Leur seule défense aura été
de se cacher derrière une organisation si bien huilée et si
bien cloisonnée pour pouvoir dire "on ne savait pas, ça
ne dépendait pas de moi !"
Le plus terrible est de découvrir
que cette gigantesque "entreprise" n'était pas dirigée
par des membres lambda du parti nazi, fanatisés, qui obéissaient
aveuglément aux ordres mais par des intellectuels et des scientifiques
allemands qui ont adhéré à ces thèses racistes
de leur plein gré. Certains d'entre eux ont occupé les plus
hauts postes de l'organigramme de la terreur nazie. Certes, l'endoctrinement
des foules et principalement des plus jeunes a été un élément
clef du succès du régime nazi, mais il ne faut pas oublier
que certains partageaient ces idées et ont mis leurs compétences
au service d'une cause inhumaine en ayant conscience de leurs actes.
Après nous être intéressés
au point de vue des bourreaux, nous avons cherché à en savoir
plus sur les victimes. Certes nous n'ignorons pas que d'autres catégories
de personnes ont été la cible de l'arbitraire nazi, comme
les opposants politiques, les tziganes, les homosexuels et bien d'autre,
mais la thématique de notre voyage étant centrée sur
le sort d'enfants juifs, nous avons approfondi notre connaissance du judaïsme.
Ce musée retrace 2 000 ans de
présence de la culture juive en Allemagne. En parcourant les couloirs
tortueux de cet espace, on s'imprègne d'une culture, d'une religion
qui n'est pas si différente de la nôtre. Les collections présentées
sont extrêmement riches et variées. Les livres et les objets
liturgiques (arches et rouleaux de la Loi) succèdent aux documents
historiques (tombes de soldats allemands juifs morts lors de la Première
guerre mondiale). Les oeuvres d'art, les objets de la vie quotidienne (reconstitution
d'un salle de classe du début du XXème siècle), les
lettres et les photos d'Allemands célèbres ou anonymes témoignent
de l'apport de la culture juive à l'Allemagne aussi bien sur les
plans intellectuel, économique et culturel.
Ce retour dans le passé m'interpelle
: comment une nation en est-elle arrivé à supprimer physiquement
une partie des éléments qui la composait ? Comment la haine
et l'obscurantisme ont-il pris le dessus sur la raison ?
Cette exposition rappelle également
que la haine du juif n'est pas une création de l'Allemagne nazie.
Les exemples sont nombreux à travers l'histoire que ce soit au Moyen
Age avec l'interdiction faite aux juifs de posséder de la terre ou
encore les pogroms en Russie au XIXème siècle.
Le nazisme a poussé cette haine à son paroxysme avec la mise
en place de la "Solution finale à la question juive". Une
haine que j'ai beaucoup de mal à comprendre en repensant au 24 enfants
déportés à Auschwitz et dont le seul "crime"
avait été de naître
Ce musée est également
intéressant par son architecture. L'architecte de ce bâtiment
surprenant, Daniel Liebeskind, a voulu en faire une évocation de
la shoah. Dès que l'on pénètre dans cet endroit, on
est surpris par le désordre des couloirs et des salles. Cet agencement
brouille nos repères, nous désoriente quelque peu, sans doute
pour nous rappeler les années sombres sous le joug de l'Allemagne
nazie.
Une pièce, met particulièrement
nos sens en éveil, la salle du métal hurlant. Ici, obligés
de marcher dans un couloir sombre, au sol jonché de disques de métal,
notre progression sur ce tapis de visages qui semblent pleurer, n'est pas
facile. Il faut assurer chacun de nos pas pour ne pas trébucher et
cela dans un vacarme assourdissant. Le bruit cesse lorsqu'on atteint la
pénombre au fond de la pièce, cela pour nous rappeler que
dans les camps, après les cris et les larmes, l'inéluctable
était la mort. Cette vision très contemporaine de la déportation
réussit à nous mettre mal à l'aise.
Ce malaise s'accentue dans la salle
de l'holocauste. On y entre par petits groupes. La lourde porte se referme
immédiatement et l'on se retrouve plongé dans l'obscurité.
Nous avons tous le même réflexe de nous adosser à un
des murs froids et lever les yeux vers une minuscule meurtrière par
laquelle on peut apercevoir un mince rayon de lumière.
On retrouve ce sentiment de malaise,
non loin de là au mémorial de la Shoah à deux pas de
la porte de Brandebourg. Ici, se dressent 2 711 stèles de béton
gris anthracite, larges de 95 centimètres, longues de 2,38 mètres
et d'une hauteur variable pouvant atteindre jusqu'à 4,70 mètres,
le tout repose sur un sol bosselé qui gène la marche dans
ce dédale. Cette multitude de pierres brouille nos repères.
On a le sentiment d'être perdu, jusqu'au moment où l'on retrouve
un visage connu, au détour d'une allée. Ici aussi, l'art contemporain
nous fait replonger sur la place d'appel de n'importe quel camp de concentration
parmi des déportés subissant les appels interminables du matin
ou du soir.
En une journée, nous sommes entrés
de plein pied dans la thématique du voyage et nous commençons
à entrevoir ce que va être la journée de mardi à
Auschwitz.
Lundi 26 mars
2007
La maison de la conférence
de Wannsee |
Notre exploration du temps se poursuit
dans l'endroit où fut planifiée et organisée l'extermination
des Juifs d'Europe, dans les environs de Berlin.
Notre guide revient sur l'organisation
et le choix de cet endroit et sur les personnes qui étaient présentes.
Cette réunion, qui s'est tenue le 20 janvier 1942, était présidée
par Reinhardt Heydrich, le chef des services de sécurité et
second de la SS. Il invita une quinzaine de hauts responsables civils et
militaires du IIIème Reich pour décider de l'extermination
des juifs. Cette réunion au sommet était un peu particulière
car ni Hitler ni ses proches collaborateurs (Himmler et Goering) n'étaient
là. Les ministres, les membres de la SS et de la gestapo y furent
informés, pour ceux qui l'ignoraient encore de l'organisation administrative,
technique et économique de la solution finale à la question
juive, c'est-à-dire l'extermination de tous les juifs d'Europe.
En effet, les déportations avaient
déjà commencé, avant cette conférence, entraînant
la mort de nombreux juifs après des conditions de vie inimaginables.
De plus, les premiers camps de la mort étaient déjà
installés et la technique du gazage avait déjà été
essayée avec les fours crématoires qui effaçaient toutes
traces des crimes. La conséquence de cette réunion fut une
accélération notable du Génocide et une recherche constante
"d'efficacité", si l'on se réfère aux critères
des bourreaux. Une seule copie de compte-rendu a été retrouvée
sur les trente créées.
La conférence de Wannsee était
donc un moyen pour Heydrich d'exposer les événements futurs
et d'obtenir l'accord et surtout la coopération de tous les participants.
Cette réunion était également un moyen pour Hitler
d'affirmer sa puissance. Au final, la conférence a duré moins
de deux heures et la décision fut presque unanime en tous points.
Les nombreux documents présents dans la maison de Wannsee donnent
une image du génocide, que ce soit par les photos des exactions de
la SS dans les territoires conquis à l'est ou par les dessins illustrant
le quotidien des déportés dans les camps. Ils constituent
des preuves irréfutables des événements exacts qui
se déroulés à cette époque. Un leitmotiv revient
sans cesse dans la doctrine prônée par Hitler : "la
pureté de la race". On retrouve les mêmes tableaux
qu'au musée de la topographie de la terreur établissant qui
est aryen ou non en fonction de ses ancêtres. A l'opposée la
classification comme juif était rigoureuse. Pour être considéré
comme juif il fallait avoir un juif dans sa famille au second degré
ce qui montre la minutie avec laquelle s'opéraient ces décisions
de ségrégation raciale.
Si au départ, un projet de déporter les juifs sur l'île
de Madagascar ou en Sibérie avait été élaboré,
c'est l'idée d'internement qui a été jugée plus
réaliste. Lors de cette conférence, il a été
mis en évidence le nombre exact de juifs à prendre en considération
: 11 millions ce qui souligne l'ampleur du génocide.
Dans un premier temps les camps ne furent
que des camps de concentration. L'un des premiers celui de Buchenwald atteignit
un triste record de 4 000 morts par mois tellement les conditions de vie
et de travail s'avéraient insoutenables. Mais les désastreuses
opérations nazies ne s'arrêtèrent pas et empirèrent
même. Pour poursuivre le projet d'instaurer une "race pure"
les camps d'extermination virent le jour , tels qu'Auschwitz dont la visite
marque à jamais.
Mardi 27 mars 2007
Le camp d'Auschwitz
Birkenau |
A l'approche de cet endroit, chacun
se remémore les témoignages, les photos ou les films qui parlent
de ce camp. Nous nous sommes tous fait une représentation du lieu,
mais le fait d'y être, de passer sous le portail, de longer les baraques
numérotées, tout est différent. Le silence qui entoure
ce lieu, nous sommes nombreux et pourtant tout est calme, seule notre guide
rompt le silence de temps à autre pour nous raconter l'histoire d'Auschwitz
Birkenau.
C'est en avril 1940 que s'effectua, sous l'ordre de Heinrich Himmler, la
construction du plus grand et du plus tristement célèbre camp
de concentration et d'extermination.
Le premier théâtre des
événements tragique, que nous connaissons tous est un camp
de travail de six hectares, Auschwitz I. Construit à l'aide de bâtiments
de la Première Guerre Mondiale, il était au départ
constitué de 20 bâtiments d'un étage chacun. L'ampleur
de la macabre entreprise des Nazis les contraignit à agrandir les
infrastructures pour atteindre le nombre de 28 bâtiments à
deux étages. Les déportés (à savoir des Juifs,
des Polonais, des prisonniers allemands et russes, des Tziganes
) étaient
conduits jusqu'ici par convoi ferroviaire, transport qu'ils étaient
contraints de payer eux mêmes et qui s'effectuait dans des conditions
extrêmes.
Le tragique sort qui les attendait leur
était caché dans le but d'éviter toute révolte,
ceux-ci étant persuadés qu'ils travailleraient essentiellement.
Cette abominable manipulation était poussée jusqu'à
son paroxysme avec le célèbre message ornant l'entrée
du camp "Arbeit macht frei" (Le travail rend libre), La seule
issue était en réalité la mort.
Il est aujourd'hui possible de voir
des tonnes d'effets personnels de la vie quotidienne enlevés aux
victimes comme des lunettes, des valises. Réaliser que derrière
chaque objet se cachait une âme est particulièrement éprouvant.
Comment ne pas se s'indigner en voyant des habits d'enfants qui devaient
avoir à peine deux ans
La discipline était de fer et
tout écart durement sanctionné. Les punitions étaient
multiples, les détenus pouvant être entassés à
quatre des nuits entières dans des cellules de 90 centimètres
de côté et dont l'accès était seulement possible
par une minuscule trappe. Seul un trou presque inexistant assurait l'arrivée
nécessaire d'oxygène. Ceux qui dérogeaient à
toute autre règle pouvaient être attachés, par les poignets,
à des poteaux de bois pendant des heures.
Juste en face de ceux-ci un tribunal décidait les condamnations à
mort, les procès ayant une durée moyenne de deux minutes.
Les sentences étaient appliquées immédiatement par
fusillade contre un mur d'exécution, à quelques pas du cabinet
du docteur Mengele, tristement célèbre pour les abominables
expériences qu'il pratiquait sur les détenus. Il n'y eut qu'un
seul évadé depuis l'intérieur du camp.
Les hommes qui avaient été
sélectionnés après examen visuel, par des médecins
suivant leurs compétences et leur état de santé, étaient
affectés à différentes tâches. Ceux qui possédaient
un métier avaient plus de chances de s'en sortir, travaillant alors
directement au camp et évitant ainsi d'éprouvantes marches
souvent fatales. Lors de chaque départ pour les commandos extérieurs,
un orchestre de prisonniers jouait pour marquer le rythme, et toute personne
montrant des signes de faiblesses était abattue en cours de route.
Les détenus partant au travail étaient régulièrement
comptés lors d'interminables appels dont le plus long a duré
19 heures au mois de juillet 1940.
Tel était le quotidien à Auschwitz I.
Seulement, l'ampleur du massacre était
telle que les infrastructures s'avérèrent insuffisantes. En
1941, eut lieu la construction d'Auschwitz II, ou Birkenau à 3 kilomètres
plus loin. Celui-ci est beaucoup plus grand, à raison de 175 hectares
et d'une capacité maximale de 200 000 détenus. 4 000 incinérations
pouvaient être réalisées par jour. Il ne s'agit plus
ici d'un camp de travail, mais d'un camp d'extermination.
Le réseau ferroviaire très
dense s'avançait jusqu'aux chambres à gaz. Les trains pénétraient
alors à l'intérieur même d'Auschwitz II, les prisonniers
débarqués sur des plates-formes et une impitoyable sélection
avait alors lieu. Les familles étaient séparées, femmes
et enfants étant directement conduits aux chambres à gaz,
lieux de souffrances atroces.
On procédait tout d'abord au
déshabillage, les SS voulant éviter tout mouvement de panique
et faisant croire aux innocentes victimes qu'elles prendraient une simple
douche. Les impardonnables bourreaux jetaient alors des cristaux de Zyklon
B (auparavant utilisés pour la désinfection) qui se transformaient
en gaz assassin.
La mort était alors extrêmement
douloureuse et abominablement longue, venant au bout d'environ vingt minutes.
L'atmosphère est aujourd'hui encore insupportable dans ces pièces
morbides, et l'on remarque les traces laissées sur les murs par des
victimes que l'on peut imaginer poussant un dernier cri de souffrance. Après
la volatilisation du gaz, les bagues et les dents en or étaient retirées
aux corps, les cheveux des femmes coupés. Ceux-ci étaient
utilisés par la suite pour faire des tapis et diverses couvertures.
Le tout, stocké dans des bâtiments appelés Canada (dans
l'entre deux guerres, ce pays représentait pour beaucoup l'opulence),
était envoyé en Allemagne et vendu. Une autre partie était
donnée à l'armée, comme les vêtements, les chaussures.
Après cette opération, les dépouilles mortelles étaient
conduites vers les cinq fours crématoires du camp. Les cendres étaient
par la suite dispersées dans les rivières ou les champs.
Une période de quarantaine était
nécessaire pour les sélectionnés. Deux baraques sanitaires
étaient accessibles seulement le matin et le soir, l'hygiène
déplorable et les maladies omniprésentes comme les diarrhées
ou le typhus. 52 écuries à chevaux ont été transformées
en baraques d'habitation pour 400 personnes. Le sol était fait de
terre battue et de marécages, les isolations inexistantes (ce qui
est impensable lorsqu'on sait que les températures dans cette région
polonaise pouvaient atteindre -25 °C en hiver). Deux personnes logeaient
à chaque étage des châlits. Le sadisme des nazis était
omniprésent, car il existait bien un système de chauffage
composé de deux cheminées reliées par un tuyau, mais
il n'y avait pas de combustible pour l'alimenter. Les femmes accouchaient
souvent sur cet endroit avant que l'on n'assassine leurs nourrissons. Les
Nazis leur ont par la suite laissé la vie pour réaliser d'abominables
expériences. Les conditions de vie étaient alors extrêmes,
inhumaines.
Relativement moins connu, Auschwitz
III était une usine de chimie et de munitions. Primo Lévi,
auteur célèbre de Si c'est un homme ainsi que Serge Smulevic
(condamné pour résistance) y travaillèrent dans le
même bâtiment. Les femmes exploitées à cet endroit
ont héroïquement volé de la poudre en 1944 lors d'un
mouvement de résistance. Elle permit aux hommes détenus dans
le camp de faire exploser un four crématoire.
C'est en janvier 1945 qu'intervint la
libération russe. Les Nazis détruisirent les bâtiments
Canada, les chambres à gaz et les crématoires pour masquer
les preuves.
Un mémorial construit au cours des années 1960 rappelle aujourd'hui
les crimes commis. 1 500 000 Juifs ont été assassinés.
Parmi eux, 76 000 Français dont plus de 11 000 enfants. 69 000 d'entre
eux l'ont été à Auschwitz. Seuls 2 500 sont revenus,
soit moins de 4 %. 3 000 résistants furent déportés
à Auschwitz, seuls 969 ont été sauvés.
Se rendre à Auschwitz, pour ne
pas oublier, est une étape indispensable dans une vie humaine pour
chacun pouvant se le permettre. Voir le lieu certainement le plus sordide
que l'homme ait pu créer dans le seul et unique but de perpétuer
le Mal pousse incontestablement chaque visiteur à se poser de nombreuses
questions.
Samedi 31 mars 2007
Nous avons bouclé la boucle de
notre voyage à l'endroit où tout avait commencé et
où tout s'est terminé : Nuremberg. Dans cet espace marqué
à jamais par l'empreinte du nazisme, l'Allemagne a osé regarder
son passé en face et nous présente, dans le centre de documentation,
une exposition remarquable sur la ville de Nuremberg et de l'Histoire de
l'Allemagne nazie de 1919 à 1945.
Adolf Hitler avait choisi cette ville,"la
plus allemande des villes allemandes", selon lui, pour y tenir
chaque année le congrès de son parti, en raison de sa situation
géographique au centre de l'Allemagne et en partie pour son excellent
réseau de chemins de fer.
Les congrès nazis étaient des manifestations traditionnelles
par lesquelles le parti glorifiait l'uvre qu'il avait accomplie. Durant
une semaine, près d'un million de personnes se rassemblait, pour
assister à de gigantesques défilés et parades militaires,
ou para-militaires comme l'Arbeit Dienst (le service du travail).
Les photos de ces grandes messes païennes
se succèdent, pour témoigner de ce qu'à pu être
le culte de la personne du Führer. Si la multitude de la foule est
impressionnante, la liesse que l'on peut lire sur les visages l'est tout
autant. Devant ces milliers d'hommes, de femmes et d'adolescents le bras
droit tendu en signe de salut (voire de soumission) et les yeux exorbités,
une remarque me vient aussitôt à l'esprit : Trop ! Beaucoup
trop de victimes de l'obscurantisme et du fanatisme. Il est terrifiant de
voir que dans cette atmosphère enfiévrée le rationalisme
s'est totalement effacé devant la puissance de l'effet de groupe.
Ainsi il est primordial de développer son esprit critique et ce en
toutes circonstances.
Le ministre de la propagande d'Hitler,
Goebbels, avait parfaitement compris l'importance de l'image à une
époque où le seul moyen d'information de masse était
le cinéma. Toutes les prestations du führer étaient parfaitement
orchestrées et mises en scènes notamment par Leni Riefenstahl.
Nous prenons le temps de nous asseoir un moment pour voir des extraits d'un
de ses film" Le Triomphe de la volonté ou la mise en scène
du modèle parfait et absolu du nazisme". Il s'agit d'un
des premiers films réalistes pour l'époque. Grâce aux
différentes prises de vues et aux gros plans, les spectateurs en
salle pouvaient avoir l'impression de participer pleinement au congrès,
comme des visiteurs virtuels, ce qui était une révolution
pour l'époque.
Le temple de la puissance nazie qui
a abrité les congrès du Parti nazi et qui a vu la promulgation
des "lois de Nuremberg ", fondement des mesures d'exclusion
a été choisi par les alliés, lors de la capitulation
de l'Allemagne le 8 mai 1945, pour installer symboliquement le tribunal
chargé de juger les crimes et les criminels de guerre. Outre la symbolique
c'est n'était qu'à Nuremberg que se trouvait un Palais de
Justice d'une taille suffisante, à l'époque, qui n'avait été
pratiquement pas endommagé par les bombardements et disposant d'un
atout supplémentaire : une prison intacte, à proximité.
Officiellement ouvert le 18 octobre
1945, le procès s'est tenu du 14 novembre 1945 au 1er octobre 1946,
devant un tribunal militaire international composé de représentants
des quatre vainqueurs de la seconde guerre mondiale : les Etats-Unis, le
Royaume-Uni, l'URSS et la France. L'ambition du procès est aussi
de contribuer à "dénazifier" l'Allemagne,
et de fonder un nouveau droit international.
L'idée de punir les criminels de guerre avait été lancée
dès 1941 par le Premier Ministre britannique, Winston Churchill "Le
châtiment des crimes" nazis "doit être désormais,
l'un des objectifs de cette guerre ". En octobre 1942, alors que
le conflit est devenu mondial, Londres et Washington souhaitaient créer
une commission d'enquête sur les crimes de guerre. Un an plus tard,
le 30 octobre 1943, la déclaration de Moscou, signée conjointement
par Churchill, Staline et Roosevelt, ajoutait que les responsables d'atrocités
"dont les forfaits n'ont pas de localisation géographique
particulière seront considérés comme grands criminels
de guerre". Lors de la conférence de San Francisco, en juin
1945, qui vit la création de l'ONU, les vainqueurs décidèrent
que ces "grands criminels" seraient jugés par un
tribunal international.
Les débats furent vifs sur la nature du procès. Les Américains
voulaient un procès public, les Anglais et les Français défendaient
l'idée d'un procès à huis-clos, les Russes prônèrent
l'exécution sommaire et sans procès de 50 000 criminels de
guerre. Finalement, c'est la conception américaine qui l'emporta.
Les principaux chefs nazis furent accusés
de "crimes contre l'humanité", concept forgé
en 1919 à propos du génocide arménien et repris avec
force au procès de Nuremberg, de crimes contre la paix, de crimes
de guerre et de génocide. 6 organisations nazies et 24 dignitaires
nazis figuraient au banc des accusés, dont Hermann Göring, maréchal
du Reich et commandant en chef de l'aviation, Rudolf Hess, adjoint du Führer
jusqu'en 1941, Joachim von Ribbentrop, ministre des affaires étrangères,
Alfred Rosenberg, ministre des territoires occupés de l'Est ; Wilhelm
Keitel, feld-maréchal et chef du haut commandement des forces armées
(OKW) et Ernst Kaltenbrunner, chef de la police de sécurité.
Les sentences furent rendues le 1er
octobre 1946 : 12 condamnations à mort par pendaison (Hermann Göring,
Ernst Kaltenbrunner, Julius Streicher, Hans Frank, Wilhelm Frick, Alfred
Jodl, Wilhelm Keitel, Joachim von Ribbentrop, Alfred Rosenberg, Fritz Sauckel,
Arthur Seyss-Inquart et Martin Bormann (par contumace).
Ils furent exécutés à Nuremberg le 16 octobre 1946,
sauf Hermann Göring qui s'était suicidé la veille dans
sa cellule. Rudolf Hess, Walter Funk (libéré en 1957) et Erich
Raeder (libéré en 1955) ont été condamnés
à la prison à vie (prison de Spandau). Albert Speer et Baldur
von Schirach furent condamnés à une peine de 20 ans de prison
et seront libérés en 1966. Constantin von Neurath a été
condamné à 15 ans de prison. Il sera gracié en 1954.
Karl Dönitz fut condamné à 10 ans de prison et sera libéré
en 1956. Hjalmar Schacht, Franz von Papen et Hanz Fritzsche ont été
acquittés.
L'extermination des juifs constitua
l'essentiel des crimes contre l'humanité abordés et des pièces
produites pendant le procès. Les accusés se défendaient
toujours de la même manière en ne niant pas le crime, mais
en disant l'avoir ignoré.
Ce procès nécessaire à
la suite des faits connus ou révélés, laissait cependant
des questions sans réponses. Le cas des responsables nazis qui avaient
réussi à fuir. Le problème de l'impartialité
fut soulevé par la défense puisque ce procès plaçait
les vainqueurs en juges. En effet, la victoire ne doit pas occulter les
exactions commises dans le camp allié, je pense notamment au drame
de Katyn, où 4 500 officiers polonais furent exécutés
par l'armée rouge. Et que dire du prix payé par les populations
civiles pendant ces 7 années de guerre.
Tant d'images me reviennent à
l'esprit en repensant à ces lieux symboliques de la Seconde Guerre
Mondiale. Je me doutais un peu de ce que j'allais voir là-bas, mais
le fait d'y être change totalement la perception des choses. Les chiffres
de la déportation, en dépit de leur ampleur, restent souvent
abstraits, mais lorsqu'on se retrouve à Birkenau, ils prennent une
tout autre ampleur. Ils nous reviennent en pleine figure. Le gigantisme
du camp, les alignements de baraques à perte de vue, les châlits,
les rails et les crématoires sont autant d'éléments
qui permettent de réaliser ce qu'il s'est passé ici. Une chape
d'horreur plane toujours sur cet endroit, comme dans tous les lieux qui
ont été dans l'ombre du nazisme. Ce malaise se ressent également
à Nuremberg et dans les grands temples païens à la gloire
d'Hitler, comme si les échos de ses discours haineux avaient marqué
à jamais les murs de pierres et de briques.
Après avoir vu tout ceci, on
se doit de perpétuer la mémoire ce qui s'est passé,
il y a 60 ans. Par notre contribution à la réalisation de
la stèle des 24 enfants juifs raflés en 1942, nous avons travaillé
pour que les Landais n'oublient pas ce qu'a été la Shoah.
Ce monument destiné à interpeller la curiosité des
passants, permettra à chacun d'uvrer pour la mémoire
de ces enfants et de tous ceux qui n'ont jamais retrouvé la liberté.
Aymeric Mano
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